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Chapitre 44 - Et elle vécue...

Je la cherche de tous côtés dans la petite église qui se vide peu à peu de tous les courtisans qui étaient présents pour le mariage. J'ai cru un instant la voir sortir au bras du prince Méallan, avant de reconnaître les yeux froids de la sorcière qui ne sont en rien semblables à ceux d'Aslinn en dehors de leur couleur. Comment le prince a-t-il pu ne pas s'en rendre compte ?

 

- Aslinn ! appelai-je, indifférent aux regards qui me sont lancés par les quelques personnes restantes.

 

Finalement mes yeux se posent sur elle, recroquevillée sur le sol proche de la nef. Je m'élance vers elle, inquiet. Lorsque j'arrive à sa hauteur, je me baisse et essaie de dégager son visage empêtré dans ses longs cheveux blonds. Il est baigné de larmes qui ne cessent de couler sur ses joues.

 

- Aslinn, répétai-je, plus doucement cette fois, il faut que vous vous releviez…

 

Elle ne bouge pas, figée ainsi, et je devine sans peine à quel point son cœur est brisé.

 

- Cette petite est malade ? me demanda le prêtre en s'approchant de nous.

 

- Non, tout va bien, je vais m'en occuper, répondis-je en passant mes bras autour d'Aslinn afin de l'emmener à l'extérieur.

 

Elle se laisse entièrement faire, gisant entre mes bras comme s’il n'existait plus la moindre trace de vie en elle. Une fois dehors, je l'emmène un peu plus loin et la dépose sur les pavés où je tente d'essuyer ses joues où les larmes n'ont toujours pas cessé de se déverser. De longues minutes s'écoulent ainsi sans qu'elle n'ait la moindre réaction, son regard vide ne reflétant plus rien, ce qui m’anéanti… c'est moi qui suis responsable de cela.

 

- Je suis… tellement désolé…

 

Je sens des larmes amères poindre aux coins de mes paupières. Je m'en veux tant… Dans quelques heures, elle va sûrement mourir, par ma faute, alors qu'une vie heureuse l'attendait… Et cela pour que je retrouve une liberté qui ne m'est plus rien si je dois alors la voir disparaître.

 

- Pardonnez-moi, Aslinn… j'ai été le plus stupide des hommes… je ne savais pas que cela devrait ainsi vous mener à votre perte, mais je savais que les conséquences seraient mauvaises et j'ai tout de même agi pour la sorcière…

 

Ma voix se brise et je suis incapable de prononcer un mot de plus, la gorge douloureusement serrée. Mais elle ne réagit pas. Son mutisme m'effraie autant qu'il me brise le cœur. Va-t-elle rester ainsi jusqu'à disparaître, là, devant mes yeux ?

 

- Je vous en supplie, faites moi un signe, réussis-je à demander après de longues minutes de silence.

 

Finalement, ses yeux semblent revenir du néant où ils étaient plongés pour aller se poser sur moi. Je ne sais lire le sentiment qui les traverse et avant que je n'ai le temps de réagir, elle se lève, enfourche la monture qui se trouve toujours près de nous et part au galop.

 

- Aslinn ! criai-je en me relevant.

 

Je ne sais où elle va, mais je ne peux la laisser partir ainsi. J'observe rapidement les environs et aperçois quelques courtisans en pleine discussion dont les chevaux se trouvent à quelques pas, tenus par leurs domestiques. Sans hésiter un instant, je me dirige vers eux et récupère les rênes d'un des animaux sur lequel je grimpe aussitôt d'un geste leste.

 

- Mais, que faites-vous ?! s'exclama le domestique que je viens de voler.

 

Je ne lui laisse pas le temps de s'exprimer davantage et donne un grand coup de talon dans les flancs de l'animal qui part aussitôt au galop. Plus habitué qu'Aslinn à monter, je réussis à la rattraper petit à petit en quelques minutes, et comprends qu'elle se dirige tout droit vers la plage. Nous y arrivons presque au même moment. Elle descend maladroitement de sa monture pour courir tout droit jusqu'à l'océan où j'aperçois ses sœurs ainsi qu'une sirène ayant l'air bien plus âgée, qui lui ouvre les bras dans lesquels elle se précipite.

 

Je sens mon cœur se serrer en réalisant qu'elle est venue leur dire adieu…

 

Non ! Il ne peut pas en être ainsi. Sa vie ne peut pas se terminer là, sur cette plage où tout à commencé seulement quelques jours plus tôt. Je sais que pour rester humaine, elle doit posséder une âme. J'ai récupéré la mienne il y a peu et je serais prêt à la lui donner toute entière parce que je l'aime ! Je ne veux pas qu'elle meurt !

 

Je contemple l'étreinte des sirènes de longues minutes avant d'oser les interrompre, parce qu'il le faut… j'ai encore un moyen de la sauver et même si je suis presque certain qu'elle ne l'acceptera pas, je dois au moins essayer. Je finis donc par m'approcher d'elles et les regards hostiles que me lancent ses sœurs font comprendre ma présence à Aslinn qui se retourne vers moi pour me lancer un regard chargé de haine.

 

- Aslinn… commençai-je malgré tout.

 

Aussitôt, elle m’interrompt d'un geste du bras et me fait signe de partir, me désignant le château avec véhémence.

 

- Je vous en prie, écoutez-moi, essayai-je encore en faisant un pas supplémentaire qui enfouit mes pieds dans l'eau salée, les vagues venant s'écraser sur le bas de mon pantalon.

 

Elle secoue la tête avant de s'éloigner de la sirène plus âgée qui doit être sa grand-mère, pour venir vers moi. Elle me repousse brusquement, bien que sa force ne suffise pas à me faire vaciller, et me désigne une nouvelle fois le château. Elle ne pourrait être plus claire. Je profite toutefois de son initiative pour attraper son poignet, ce qui me vaut un nouveau regard plein de colère.

 

- S'il vous plaît, laissez-moi tout vous expliquer… demandai-je encore.

 

Mais Aslinn se débat et me force à la lâcher sous peine de la blesser.

 

- Ma petite sirène, intervint alors sa grand-mère, tu devrais peut-être l'écouter…

 

Je relève la tête pour observer la grand-mère d'Aslinn, surpris de l'entendre prendre mon parti, ce qui semble également être le cas d'Aslinn qui se tourne vers elle, ses traits traduisant à quel point elle est déconcertée. Sa grand-mère lui tend alors la main, Aslinn la rejoint, et elle lui parle encore, mais je ne peux à présent plus entendre ce qui est dit. Ses sœurs aussi prennent la parole et finalement, Aslinn s'avance doucement vers moi, les traits toujours crispés mais un peu plus doux que quelques minutes auparavant.

 

Une fois plantée devant moi, elle lève son visage vers le mien et je sais qu'à présent elle m'écoute.

 

- Il y a près de cinq ans, je suis mort. J'étais à bord d'un bateau en plein milieu d'une tempête, et les vagues sont devenues tellement hautes qu'elles nous ont submergés. Je me suis retrouvé dans l'eau et je n'ai pas réussi à m'en tirer. J'ai coulé, mon corps a commencé à descendre dans les profondeurs de l'océan et lorsque je suis mort et que mon âme a cherché à remonter jusqu'au ciel, la sorcière l'a capturée. Je ne sais par la suite comment elle a pu me ramener à la vie, par quel enchantement maléfique elle a rendu cela possible, mais je me suis réveillé sur la plage et elle était là. Elle m'a alors expliqué qu'elle m'offrait une nouvelle chance de vivre, en échange de quoi je devrais rester sur ces terres, au château, jusqu'à ce que ma dette lui soit payée.

 

Aslinn continue de me fixer, mais ses traits sont neutres à présent.

 

- À l'époque, j'étais jeune et j'ai trouvé cela formidable de ne pas avoir perdu la vie dans cette tempête qui n'a laissé aucun rescapé, malgré le chagrin d'y avoir perdu mon père. Mais au fil du temps, j'ai compris que je n'étais rien d'autre qu'un prisonnier de cette créature, de cet endroit, de cette vie, et lorsqu'elle m'a offert la possibilité de retrouver ma liberté, cela est devenu mon seul objectif… jusqu'à vous. Parce que je suis tombé amoureux de vous.

 

J'observe le visage d'Aslinn se transformer sous la stupeur qui s'empare d'elle, mais me force à poursuivre sans attendre la finalité de sa réaction.

 

- En vous côtoyant, j'ai découvert un être plein de bonté, de joie, capable d'illuminer la vie… et je sais que vous vouliez passer votre vie avec le prince, que vous l'aimez, et que je ne serai jamais capable de vous exprimer assez à quel point je suis désolé d'avoir brisé votre amour et ce destin pour lequel vous étiez faite. Mais je vous aime, comme lui, peut-être même plus que lui, plus qu'il ne le pourra jamais, et c'est pourquoi je veux partager mon âme avec vous…

 

Les larmes coulent à nouveau le long de ses joues, tombant dans l'eau toujours en mouvement de l'océan. Elle porte sa main à ses lèvres et je lis dans ses yeux une peine si profonde que je ne peux me retenir d'aller vers elle.

 

- Laissez-moi vous sauver Aslinn… Nous pourrons rester au château si c'est ce que vous souhaitez, vous pourrez voir encore votre famille, vos sœurs…

 

Un sanglot la traverse, puis elle baisse lentement son visage vers l'eau avant de secouer la tête en signe de refus. Alors que je fais un geste pour la prendre dans mes bras, elle place sa main entre nous et recule doucement afin de retourner vers sa famille.

 

Je soupire. Que pourrais-je lui dire pour qu'elle accepte de vivre ?

 

Mon cœur se serre lorsque mon regard se porte vers le ciel où le soleil disparaît peu à peu. Bientôt il n'y aura plus de lumière, le jour fera place à la nuit et la lune viendra mettre un terme à ses jours…

 

- Tu devrais l'épouser Aslinn… peu importe à quel point ton cœur est brisé, tout plutôt que la mort, lui fit une de ses sœurs, apparemment la plus âgée, en attrapant son menton pour relever son visage vers elle.

 

- Penses à Rosheen… souffle une autre plus jeune.

 

- Ma petite sirène, je sais que ce n'était pas le destin que tu espérais, mais tu as encore des choses à vivre, le monde t'attend, que ce soit celui-ci ou un autre, reprit sa grand-mère en désignant l'océan puis la terre avant de venir la serrer dans ses bras.

 

Elles restent de longues minutes ainsi, ce qui me paraît interminable tandis que le soleil termine sa course à l'horizon.

 

- Vas, ma toute petite, finit par déclarer sa grand-mère en écartant Aslinn de sa poitrine.

 

Je ne peux voir le regard que lui lance sa petite fille, mais elle hoche lentement la tête avant de se tourner vers moi. Reprenant espoir, je la regarde un instant avancer avec peine dans l'eau avant de lui tendre la main qu'elle vient saisir et sur laquelle je referme mes doigts.

 

 

Quelques minutes plus tard, nous sommes de nouveau à l'église. Aslinn est toujours vêtue de sa chemise de nuit déchirée à plusieurs endroits et qui n'a plus rien de blanc, mais cela m'est totalement égal. Je la dévisage tandis que ses propres yeux sont retournés dans le brouillard de ses pensées. Le prêtre à côté de nous semble perplexe, lançant à Aslinn de nombreux regards en coin, tout en récitant les prières qui doivent nous lier devant Dieu.

 

Je me sens toujours aussi malheureux et si n'importe qui m'en donnait la possibilité, je changerais tout ce que je possède pour la savoir heureuse, à l'autre bout du pays au bras du prince Méallan. Mais en même temps que j'écoute le prête nous citer les préceptes du mariage, je forme un espoir nouveau… peut-être, avec du temps, serais-je capable de la rendre heureuse moi aussi…

 

- Je vous déclare dès à présent unis par les liens sacrés du mariage.

 

À peine a-t-il fini que le prêtre nous laisse seuls, retournant à l'arrière de l'église dans ses appartements. Aslinn semble être sortie de ses songes et pose sur moi un regard toujours empli de chagrin. Je soupire, au moins mon amour lui permettra-t-il de vivre… mais je souhaiterais plus que cela.

 

- Aslinn… murmurai-je en me rapprochant légèrement d'elle.

 

Ses yeux se lèvent vers les miens et je me permets de lui prendre les mains que je porte à mes lèvres.

 

- Je promets de te donner chaque jour que nous passerons ensemble, la totalité de mon amour, la plus grande place dans chacun de mes songes, et de tout faire pour racheter mes erreurs et te voir sourire encore…

 

Elle incline à peine la tête et lorsque je saisis son visage pour lui donner le baiser qui doit sceller notre union, ses lèvres sont glacées et ont un goût de sel

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