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Chapitre 22 - Dans ses yeux

Sean

Nous sommes en milieu de matinée lorsque je quitte mon bureau. J'ai réglé toute la paperasse dont j'ai à m'occuper chaque jour et que je garde habituellement pour le soir. Le Prince Méallan est avec un de ses précepteurs dans la bibliothèque ou dans un bureau du château comme tous les matins. Quant à Aslinn, je ne doute pas qu'elle soit dans sa chambre et c'est d'ailleurs là où je me rends. La veille, j'ai fait appeler un tailleur du village pour qu'on lui confectionne quelques robes plus agréables et jolies que la simple tenue de servante qu'elle avait pour se promener avec le Prince, même si il n'a pas tellement eu l'air de s'en soucier, ce qui est pour le mieux.

 

Je descends les escaliers pour me rendre au premier étage, puis prend le couloir à gauche. Arrivé dans l'aile des invités, je me dirige tout droit vers la porte d'Aslinn où je toque brièvement. J'attends une minute, mais comme elle ne vient pas m'ouvrir et qu'il n'y a aucun bruit, j'entre sans en avoir la permission. Je trouve le lit défait mais vide, un regard rapide sur le reste de la chambre m'informe qu'elle ne s'y trouve pas.

 

- Miss Aslinn ? appelai-je, ne tenant pas à aller vérifier dans la salle d'eau par moi-même.

 

Je suis alors surpris de voir la porte du balcon s'ouvrir pour laisser passer la jeune fille, toujours en chemise de nuit malgré l'heure avancée du matin. Elle me sourit et ne sachant probablement pas comment me dire bonjour, s'incline légèrement devant moi comme elle a vu faire les domestiques. Je lui fais un simple signe de la tête pour lui rendre la pareille.

 

- Il est dix heures passé, vous devriez déjà être habillée, lui expliquai-je avant de retourner à la porte pour appeler Émilie.

 

La jeune domestique arrive en quelques secondes, s'incline devant moi, puis devant Aslinn avant de demander ce qu'elle doit faire.

 

- Il faudrait que vous aidiez Miss Nérina à s'habiller. Le tailleur a livré tôt ce matin une ou deux robes qui doivent être déjà dans l’armoire ou qui auront été laissées au rez-de-chaussé. Coiffez-là également et lorsque tout cela sera fait, amenez-là dans le petit salon de mes appartements.

 

Je n'aime pas du tout ce prénom dont le Prince a affublé Aslinn, mais elle semble d'accord et je ne peux révéler son véritable prénom. Comment le saurais-je ? Ainsi, elle s'appelle à présent Nérina aux yeux de tous.

 

- Bien mylord, fit-elle avant de se diriger vers l'armoire.

 

Je quitte la chambre sans un mot de plus pour me diriger vers mes appartements qui sont à l'étage au dessus, non loin de mon bureau. J'y attends Aslinn. Une bonne demi-heure s'écoule avant qu'elle n'arrive, accompagnée d'Émilie qui s’éclipse après s'être assurée auprès de la jeune fille qu'elle n'ait plus besoin d'elle. Aslinn avance dans le petit salon avec le même regard curieux qu'elle a en général lorsqu'elle marche dans le château. Souvent je me demande ce qu'elle en pense et à quel point l'endroit peut être différent de tout ce qu'elle a toujours connu.

 

- Je ne sais pas si il vous l'a dit, mais le Prince Méallan se trouve avec ses précepteurs le matin, l'informai-je alors qu'elle examine avec attention l'horloge disposée dans le coin au fond à gauche de la pièce.

 

Elle se tourne vers moi en m'écoutant parler et sourit en signe d'assentiment, ce qui m'incite à poursuivre.

 

- Vous êtes donc libre d'aller dans tout le château, excepté dans mes appartements qui sont ici même et dans ceux du Prince qui sont de l'autre côté dans la tour de l'aile ouest. Vous pouvez sortir dans les jardins ainsi que sur la plage à votre guise, mais je vous déconseille de vous éloigner trop du château… à cause de vos jambes et pour éviter de vous perdre.

 

Aslinn acquiesce encore. Elle s'est rapprochée de la table en bois sculptée qu'elle effleure du bout des doigts avant de s'asseoir sur le petit canapé avec une précaution infinie, comme si elle n'était pas du tout sûre de ce qu'elle faisait. Je la regarde faire quelques instants. Chaque objet semble la fasciner. J'hésite un moment avant de lui demander :

 

- Voudriez-vous que je vous fasse visiter le château ?

 

La jeune fille lève alors ses grands yeux bleus vers moi et un sourire des plus sincères illumine son visage en même temps qu'elle agite la tête de haut en bas. Elle vient vers moi et passe son bras sous le mien, visiblement prête à me suivre.

 

Je l'emmène dans presque toutes les pièces du château qu'elle découvre avec le plus grand intérêt. Nous marchons lentement pour que ses jambes ne la fassent pas trop souffrir. Bien qu'elle ne puisse pas parler, elle me désigne les meubles lorsqu'elle souhaite que je lui explique de quoi il s'agit. Nous terminons la visite aux alentours de midi et en profitons pour rejoindre la petite salle à manger où la femme d'Hekins nous fait servir le repas chaque midi, tandis que le soir nous mangeons dans la grande salle, bien que nous ne soyons guère plus nombreux.

 

Aslinn y entre la mine joyeuse et je tire une chaise pour qu'elle puisse s'y asseoir. Elle admire le bois avant de s'installer, puis masse légèrement ses jambes que je devine déjà endolories. Je vais prendre place à mon tour en face d'elle.

 

- La visite vous a plu ? demandai-je bien que je connaisse déjà la réponse à cette question.

 

Elle hoche la tête vigoureusement avant d'essayer de me faire comprendre quelque chose avec de grands gestes. Elle dessine dans l'air un grand rectangle, puis fait mine d'y écrire. Je ne trouve d'abord pas cela très clair, mais le souvenir du tableau devant lequel nous sommes restés de longues minutes finit par me revenir en mémoire.

 

- Oh, le tableau ? essayai-je alors qu'elle recommence déjà à agiter ses bras.

 

Elle acquiesce avant de poser la main doucement sur son cœur.

 

- Il vous a beaucoup plu ? Je suppose que c'est ce que vous avez préféré. Je suis heureux que l'art vous plaise. Je ne sais pas si cela existe d'où vous venez, mais ici les peintres et les poètes sont ceux qui créent la beauté du monde, lui expliquai-je avant d'ajouter en moi-même : Hélas, le Prince n'y prend pas le même intérêt que vous.

 

- Si vous le souhaitez, je peux demander à ce que le tableau soit accroché dans votre chambre. Personne n'a l'occasion de le voir là-haut dans la bibliothèque, rajoutai-je après quelques instants de silence.

 

Un nouveau sourire éclaire son visage, mais ce n'est rien comparé à l'expression viscérale de bonheur qui se peint sur ses traits lorsque le Prince entre à son tour dans la petite salle à manger. Ses grands yeux bleus s'accrochent immédiatement à lui et lorsqu'il l'a salue, le rouge lui monte aussitôt aux joues.

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