· 

Chapitre 27 - Autour du piano

Aslinn

Le jour se lève en même temps que ma joie sur ce sixième jour dans le monde de l'air. J'ai dormi d'un sommeil empli de rêves. J'ai passé hier la plus belle soirée de mon existence. J'ai encore en mémoire la main chaude de Méallan contre la mienne, son visage qui a été si proche du mien… toute trace de déception s'en est allée. Je sais qu'il a des sentiments pour moi, il me l'a montré et j'ose espérer qu'il reviendra vers moi de la même manière dans les jours à venir. C'est comme je l'avais imaginé : mes regards, ma compagnie ont suffi à provoquer son amour, comme je lui ai donné mon cœur après l'avoir sauvé de la mort !

 

Émilie vient comme tous les matins pour m'aider à m'habiller et je ne peux cacher ma joie. Elle ne me pose aucune question comme à son habitude, mais elle a l'air de partager mon humeur. Ma coiffure est plus jolie encore que les autres matins et elle m'asperge même d'une odeur qui sent divinement bon à l'aide d'un petit récipient en verre.

 

Je descends pour le petit déjeuner en essayant de retenir mes pas dans les escaliers. J'ai hâte de voir le prince, de croiser son regard, pour me confirmer que je n'ai pas tout imaginé, même si je sais que c'est une chose impossible. Mais lorsque j'entre dans le petit salon où est servi le petit déjeuner, celui-ci est vide. Il n'y a qu'un seul couvert sur la table et Mélanie vient vers moi immédiatement pour me prier de m'asseoir.

 

- Sa majesté est partie pour la chasse très tôt ce matin en compagnie de quelques hommes du village. Quand à Lord O'Nell, il est occupé à son bureau comme tous les jours et m'a prié de ne pas le déranger, m'expliqua-t-elle avant de me demander ce que je souhaite manger.

 

Je déjeune donc en silence, un peu troublée de me retrouver seule. Une fois cela terminé, je suis livrée à moi-même dans le château. Sean m'ayant indiqué à mon arrivée que je pouvais aller et venir comme je le souhaitais, je monte jusqu'à la bibliothèque, la pièce qui m'est la plus familière après ma propre chambre. J'aime beaucoup ces grands meubles en bois remplis de livres, ils m'évoquent un millier de mondes imaginaires à visiter. Mais je suis surtout intriguée par l'instrument de musique installé au fond de la pièce, en bois très noir, que Méallan a précisé être un piano. Je n'en avais jamais vu auparavant, pas même sur le bateau du prince la nuit du naufrage.

 

Je m'en approche, caresse le bois ciré, puis relève la petite partie rétractable qui révèle les touches qui créent la musique. Il y en a des blanches et des noires, qui font toutes un son différent. Comme il n'y a personne avec moi, je me permets d'en toucher quelques unes et j'apprécie leurs sons qui se répandent dans toute la pièce. Je trouve cela tellement beau. J'aimerais savoir en jouer ou simplement entendre une mélodie.

 

- Vous savez jouer du piano ?

 

Je sursaute brusquement tout en reconnaissant la voix de Sean dans mon dos. Je lui lance un regard de reproche alors qu'il vient vers moi.

 

- Excusez-moi, je ne voulais pas vous faire peur, reprit-il sans avoir vraiment l'air de se repentir.

 

Je secoue la tête en posant mon doigt sur une nouvelle touche. Sean m'observe sans rien dire, puis finalement s'installe sur le petit siège en bois qui se trouve devant le piano, non loin de l'endroit où je me tiens.

 

- Voudriez-vous entendre une balade ? me proposa-t-il une fois assis.

 

Je lui souris avant d'acquiescer. Cela me plairait beaucoup d'entendre jouer de cet instrument ! Chanter était l'un de mes grands plaisirs à Atlantis où l'on disait d'ailleurs que j'avais une fort jolie voix, mais c'est un trésor que j'ai abandonné avec bien moins de regrets que certaines autres choses. Pouvoir écouter me suffit amplement.

 

Sean se tourne vers le piano et commence à poser ses mains sur les touches en même temps que ses pieds bougent en bas de l'instrument sur des sortes de leviers que je n'avais jusque-là pas remarqués. Évidemment, je ne connais pas la mélodie qui sort de l'instrument, mais je la trouve merveilleuse, très douce et pleine de mélancolie. Je passe ainsi cinq jolies minutes à côté de Sean à me laisser envahir par la musique.

 

Lorsque le son s’interrompe, je réalise que j'ai fermé les yeux. Je les ouvre et remercie Sean d'avoir joué pour moi en tapant doucement dans mes mains.

 

- Cela vous a plu ? me demanda-t-il au moment où ses mains quittent le piano.

 

Je hoche la tête avec conviction en me baissant légèrement pour caresser de mes doigts les touches qu'il a le plus utilisées, sans appuyer dessus.

 

- Si vous voulez Miss Aslinn, je peux vous montrer quelques notes, me proposa-t-il en m'observant faire.

 

J'accepte avec ravissement avant de venir m'asseoir à côté de lui sur le petit siège en bois où nous tenons tout juste. Il commence par me montrer les touches blanches, me donnant leur nom, celui des notes auxquelles elles correspondent. Il semble y avoir un système très précis pour la musique humaine, auquel je ne connais rien.

 

Après de longues minutes d'explications, je finis par soupirer, me sentant incapable de retenir tout ce que Sean vient de dire. Je suis habituée à la musique d'Atlantis. Dans notre monde, dans ce domaine en tout cas, cela se déroule de façon bien plus instinctive, même si il y a également une certaine part de choses à apprendre.

 

- Vous savez, il faut des années de leçons pour savoir parfaitement bien jouer du piano, me dit-il, sans doute pour me consoler.

 

Je lui souris avant de reporter de nouveau mon attention sur l'instrument. Je voudrais lui montrer un air populaire de mon royaume. Bien sûr, ici les sons sont très différents. Il aurait été plus simple pour moi de le lui chanter, si j'avais encore l'usage de ma voix, mais je voudrais essayer quelque chose… J'appuie sur quelques touches et essaie d'imaginer ce que donnerait une de mes comptines favorites sur un tel instrument. Je fais plusieurs essais sous l’œil amusé bien qu'un peu perplexe de Sean avant de réussir à produire une mélodie qui se rapproche de ce que je voulais lui faire entendre. Satisfaite, je me tourne vers lui pour attendre sa réaction… qui ne vient pas.

 

- Qu'y a-t-il ? me demanda-t-il de plus en plus perplexe.

 

Je désigne le piano avant de jouer à nouveau la petite comptine. Lorsque j'ai terminé, je me tourne une nouvelle fois vers lui et il se met à rire, ce qui me vexe un peu.

 

- Qu'essayez-vous de faire, Aslinn ? J'ai l'impression que vous jouez des notes au hasard, m'expliqua-t-il toujours hilare.

 

Je fronce les sourcils mais ne réitère pas mon essai musical. De toute évidence, l'oreille humaine n'est pas sensible à la musique de l'océan, du moins avec un piano.

 

- Ne soyez pas vexée, reprit-il après quelques secondes, toujours le sourire aux lèvres, ce qui me fait une drôle d'impression, tant j'ai l'habitude de le voir sérieux. Si vous voulez, je peux vous apprendre à jouer quelque chose, me proposa-t-il ensuite.

 

J'accepte avec plaisir et laisse de côté ma frustration. Je ne voudrais pas me fâcher avec lui.

 

La fin de matinée s'écoule ainsi, Sean m'apprenant patiemment un air jovial que je trouve très mignon et qui se joue seulement sur une petite partie du piano, ce qui me rend les choses bien plus simples. Après un nombre d’essais que je n'arrive même plus à compter, j'arrive presque à jouer la mélodie sans fausse note.

 

- Vous y êtes presque ! Voulez-vous recommencer ? me demanda-t-il à nouveau sérieux.

 

Je hoche la tête et me remets à jouer. Les premières secondes se passent sans problème, mais comme à presque chaque tentative, je finis par mal placer mes doigts et appuie sur la touche à droite de celle que je suis censée jouer.

 

- Il faut que vous placiez vos doigts ainsi, me reprit une nouvelle fois Sean en m'interrompant.

 

Il prend alors le troisième doigt de ma main gauche et le bouge de sorte à ce qu'il arrive sur la bonne touche avant d'appuyer sur ma main toute entière pour jouer ce qu'il appelle un accord. Au moment où le son résonne doucement dans la pièce, un grand bruit retentit à la porte de la bibliothèque qui laisse entrer Méallan à mon plus grand bonheur.

 

- Miss Nérina ! s'exclama-t-il en m'apercevant.

 

Je lui souris aussitôt, ravie de le voir, et remarque à peine la main de Sean qui s'enlève vivement de la mienne. Méallan nous observe une seconde en silence et je ne comprends pas les émotions qui semblent alors traverser son regard. Je me lève aussitôt pour venir le rejoindre près de la porte et un sourire s'épanouit également sur son visage en écho au mien.

 

- Je vous cherchais, reprit-il en affichant un air malicieux.

 

Je remarque à ce moment là seulement qu'il a les deux bras cachés dans le dos. J'ouvre alors de grands yeux, surprise, et cherche à guetter ce qu'il me cache, me hissant sur la pointe des pieds pour essayer de voir. Visiblement amusé, il me sourit puis m'annonce en ramenant ses bras devant lui :

 

- C'est une surprise pour vous.

 

Je vois, en même temps que ses bras, apparaître une magnifique petite créature entièrement blanche. Elle est pleine de poils et ses oreilles retombent de chaque côté de sa petite figure qui ne cesse de bouger en tous petits mouvements qui font s'agiter les longs poils qui jaillissent de ses joues. Je la trouve adorable et ne peux alors m'empêcher de la caresser du bout de mes doigts.

 

- C'est un petit lapin que j'ai trouvé dans la forêt, m'expliqua-t-il finalement en me le tendant. C'est un cadeau.

 

Enchantée de son attention, je prends délicatement le petit animal dans mes mains avant de le caler contre moi dans un de mes bras. Je remercie le prince d'un autre grand sourire avant de reporter mon attention sur le petit lapin. Il est tout doux et ne semble pas tellement craintif. Il est si petit que je me demande si il s'agit d'un bébé ou d'un adulte. Du bout des doigts, je caresse encore le haut de sa tête et il vient se blottir contre ma poitrine.

Écrire commentaire

Commentaires: 0