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Chapitre 28 - Du monde au château

Sean

J'observe Aslinn cajoler le petit lapin depuis le banc du piano. Elle a l'air ravie, ses joues sont roses et elle ne cesse de passer ses doigts dans la fourrure blanche. Lorsque je lève les yeux en revanche, je croise le regard du prince Méallan qui me regarde d'un air que je ne lui connaissais pas, presque hostile. Je le fixe en retour tout en restant impassible. Je sais très bien que je viens de le rendre jaloux. Ma main était posée sur celle d'Aslinn qui se trouvait de toute manière assise bien trop près de moi lorsqu'il est entré, chose qu'elle ne peut savoir mais que lui n'a pu manquer de remarquer.

 

Notre échange silencieux se poursuit de longues secondes, jusqu'à ce qu'Aslinn ne l'interrompe en se tournant vers moi pour me montrer l'animal. Je quitte donc le prince des yeux pour lui sourire, avant qu'elle ne quitte la pièce sans doute pour aller montrer son présent à Émilie qui ne manquera pas de lui trouver un enclos pour sa chambre.

 

Nous restons seuls dans la bibliothèque et je me demande si il va venir vers moi pour exprimer sa colère par des mots ou se contenter de me toiser ainsi encore un instant. Finalement, il choisit le silence et repart. Je soupire. Je suis satisfait que mon stratagème ait fonctionné, mais j'espère juste que cela ira dans le bon sens et le poussera à aller plus encore vers Aslinn. Je ne connais pas très bien le prince Méallan, mais ces dernières semaines m'ont laissé approcher son caractère par moment encore assez enfantin et je me doute que cela marchera sur lui.

 

Je quitte la bibliothèque pour monter à mes appartements. Je suis certain qu'ils passeront le reste de la matinée ensemble, au moins jusqu'au déjeuner.

 

 

Le soir de cette même journée, lorsque je rejoins Aslinn, elle est déjà les pieds dans l'eau et regarde le ciel par son balcon ouvert, d'un air rêveur qui me laisse deviner la merveilleuse journée qu'elle vient de passer. D'une certaine façon, je suis content de cet état de chose, mais je sens au même moment un pincement dans ma poitrine comme si cela me contrariait. Pourtant, tout se déroule comme je peux le souhaiter… J'ignore cette sensation et m'avance vers elle pour entamer notre habituelle discussion nocturne.

 

J'ai toutefois du mal à tirer grand-chose d'elle. Elle ne parle presque pas et ne cesse de passer ses doigts sur sa main droite, ce dont je devine la signification sans peine. Cet étalage d'enchantement finit par me lasser, alors je quitte la chaise sur laquelle je me suis installé pour prendre congé d'elle. Mais avant cela, il me faut la prévenir pour les visites qu'elle va avoir dans les deux prochains jours.

 

- Aslinn, fis-je pour la tirer une nouvelle fois de ses pensées.

 

Elle tourne un instant ses yeux perdus vers moi, avant de me faire signe qu'elle m'écoute.

 

- J'ai rencontré vos sœurs ce matin, non loin de la crique du château, lui expliquai-je en observant ses yeux s'écarquiller peu à peu.

 

Pour la première fois ce soir, j'ai son entière attention. Ses mains s'agitent vivement dans l'air pour me faire continuer, mais je laisse planer un instant de silence avant de poursuivre.

 

- C'est compliqué de réussir à faire parler une sirène, mais l'une d'elle semblait véritablement inquiète à votre sujet, alors elle m'a écouté et nous avons convenu d'un rendez-vous. Elle et les autres sans doute souhaitent vous rencontrer demain matin, aux premières lueurs du soleil.

 

Aslinn semble un instant saisie, ne bougeant pas d'une seule fibre de son être, avant de se lever, arrosant copieusement le sol au passage pour me prendre dans ses bras. Surpris, je reste figé un moment avant de passer un bras dans son dos. Je ne pensais pas provoquer une telle réaction, mais cela ne paraît peut-être pas si déconcertant que sa famille lui manque beaucoup. Je ne sais pas de quelle nature sont les liens qui unissent les sirènes les unes aux autres, mais de toute évidence, Aslinn a le mal du pays.

 

Lorsqu'elle s'écarte de moi et lève son visage heureux vers le mien, je me sens satisfait de mes efforts et de lui avoir procuré un tel plaisir. Elle attrape mes mains et les presse entre les siennes pour me remercier encore.

 

- De rien, répondis-je en lui souriant à mon tour.

 

Les yeux humides, elle retourne vers son fauteuil et replonge doucement ses pieds dans l'eau. Un long soupire lui échappe et je songe à la manière de lui annoncer la seconde nouvelle.

 

- Il y a encore une chose… la Reine, la mère du prince Méallan, devrait arriver après-demain au château, avec sa suite, c'est à dire une partie de la cour d'Irlande.

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