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Chapitre 14 - Le château

Aslinn

Plusieurs jours passent avant que je ne puisse aller visiter la crique du château grâce à l'aide précieuse de Rosheen, avec laquelle je suis censée passer la fin de l'après-midi dans le but de perfectionner mes figures de danse que je sais déjà réaliser parfaitement. J'ai dû, pour obtenir ce moment de tranquillité avec ma sœur, convaincre notre grand-mère ainsi que notre père, puis compter sur l'aide de Maureen pour appeler Cathleen ailleurs afin qu'elle nous laisse enfin seules. J'ai conscience de trahir leur confiance, mais je suis convaincue de n'avoir aucun autre choix. Leur expliquer simplement la situation les rendrait furieux contre moi et ma liberté serait définitivement réduite à néant.

 

- Fais bien attention à toi, me prévint Rosheen alors que je suis à l'entrée de la salle que nous avons obtenue pour travailler notre danse.

 

- Promis ! Je serai de retour d'ici une heure au plus, jurai-je avec un dernier geste pour elle avant de me lancer dans le couloir.

 

Je nage rapidement, passant de couloir en couloir jusqu'à arriver dans l'autre aile du château où se trouvent les cuisines. Après cela, je n'ai aucun mal à retourner dans le monde de l'air, comme me l'a révélé ma grand-mère le jour de mon quinzième anniversaire.

 

Je gagne la surface en quelques minutes et me mets aussitôt à nager en direction du château. Il est suffisamment en hauteur pour qu'on puisse l'apercevoir depuis l'océan, et depuis là où je me trouve, on peut le voir directement donnant sur la falaise. D'après les indications de Maureen, la crique doit se situer de l'autre côté. Je pars donc vers l'ouest, et long les rochers directement sous l'eau. Après de longues secondes qui me paraissent une éternité, je finis par apercevoir dans la roche le passage mentionné par Maureen. Il n'est pas très large, mais permet largement à une sirène de s'y glisser.

 

Une fois dans la crique, j'essaie de nager discrètement, tout à fait consciente qu'il pourrait y avoir des humains. Je sors la tête de l'eau un instant et aperçois quelques roches sur la droite, pas très hautes mais qui suffiront à me dissimuler. Je nage jusqu'à elles et ose enfin sortir le buste de l'eau. Je prends plusieurs inspirations, assez nerveuse, avant de me déplacer légèrement afin de pouvoir observer la plage de sable blanc. Je cherche bien sûr avant toute chose mon beau jeune homme, mais il n'y a personne, pas la moindre trace de vie alentour… Un peu déconcertée, je vais nager plus près de la plage, délaissant les rochers puisqu'il n'y a personne de qui se cacher.

 

Je lève les yeux vers le ciel. Il est très dégagé ce soir, pas un seul nuage ne vient l’entacher et il commence déjà à se teinter de lueurs orangées. L'inquiétude me gagne peu à peu. Si je ne vois pas le jeune homme ce soir, je ne sais pas du tout quand ou même si il me sera possible de revenir… J'ose espérer que notre père finira par lever ses sanctions à mon encontre, mais je suis incapable de savoir le temps que cela prendra !

 

Je passe ainsi de longues minutes à attendre dans cette petite crique, à l'abri des rochers par mesure de sécurité, mais la déception est amère. Je glisse régulièrement quelques coups d’œil en direction de la plage, mais elle reste invariablement déserte. Au loin, je vois parfois des humains passer près du château, mais ils sont bien trop loin pour que je puisse savoir si il s'agit de mon jeune homme ou non…

 

Je suis prête à renoncer, sachant qu'il ne doit pas me rester plus d'une vingtaine de minutes pour regagner le palais, lorsque j'entends un drôle de bruit, comme le cri d'un animal. Surprise, je me penche pour apercevoir la plage où un grand animal aux longues oreilles et aux poils roux court sur le sable humide, la bouche grande ouverte. C'est la première fois que je vois une telle créature, mais je ne peux m'empêcher de sourire en la voyant sauter sur le semblant de vague qui fait onduler l'eau et vient mouiller la plage sous ses pattes.

 

Je l'observe jouer quelques instants avant de voir apparaître derrière lui une paire de jambe dans un vêtement blanc. Le cœur bondissant, je lève les yeux jusqu'au visage de l'humain qui accompagne l'animal… mon beau jeune homme ! Il est encore plus beau que dans mes souvenirs ! Il a un vêtement bleu sur les épaules, comme celui que je lui ai vu sur le bateau, mais bien plus simple, sous lequel s'en trouve un autre, blanc et qui semble plus léger. Ses cheveux sont peignés, mais le vent qui ne cesse presque jamais de souffler sur l'océan les malmène. Enfin, ses pieds sont nus et mon regard est aussitôt attiré par la façon dont ils sont faits, comme si ils avaient les doigts d'une main, mais en un peu plus court.

 

Je réalise alors le sourire qui m'est monté aux lèvres, je suis si heureuse de le revoir… Et comme je voudrais m'avancer vers lui pour lui parler. Mais je ne peux pas… je suis rivée au rocher, incapable de le laisser m'apercevoir. J'ai bien trop peur. Si Rosheen s'inquiétait à juste titre ? Si je ne devais jamais avoir aucune emprise sur son cœur ?

 

Il caresse de la main la créature pleine de poils, puis attrape un bout de bois dans la main d'un serviteur qui se tient non loin de lui, avant de le lancer loin devant lui dans le bassin de la crique. Le morceau de bois que je suis des yeux atterrit à quelques mètres de moi. Je m'en éloigne, tournant autour des roches avant d'entendre l'animal se jeter à l'eau, faisant jaillir de grandes éclaboussures tout autour de lui. Je me fige, espérant qu'il ne me remarque pas… à mon grand soulagement, la créature attrape le bout de bois avant de retourner lentement vers la plage.

 

- C'est bien mon chien, fait le Prince.

 

Je me précipite de nouveau sur le bord du rocher afin de pouvoir le voir. Sa voix est grave, j'en adore chaque intonation à l'instant même. Le beau jeune homme se tient face à l'animal, vers lequel il se baisse pour attraper le morceau de bois avant de le renvoyer de l'autre côté cette fois, dans l'herbe qui entoure le château. Il observe un instant l'animal s'éloigner, puis se tourne de nouveau vers l'eau, contemplant le ciel d'un air étrange, habité certainement par une émotion que je ne saurais expliquer. Peut-être songe-t-il à moi ? Je ne peux m'empêcher d'espérer.

 

Il est véritablement pour moi le plus beau des hommes… Bien que je n'en ai pas vu tant que cela, je sais qu'il ne peut en exister de plus parfait : ses traits sont fins, sa peau halée sous les derniers rayons du soleil qui ne vont pas tarder à disparaître derrière la falaise qui protège le bassin. Il me parait grand et ses épaules larges sous le tissu de ses vêtements. Je donnerais vraiment n'importe quoi pour pouvoir sortir de ma cachette et venir vers lui, mais la peur m'en empêche encore. Je n'ai pas la moindre idée de la réaction qu'il pourrait avoir en me voyant. Peut-être prendrait-il peur ? Mais je ne l'imagine pas un instant capable de me capturer et d'essayer de m'emmener au château.

 

Je suis toujours derrière les rochers, songeuse, lorsque j'entends pour la première fois le son de sa voix. Elle me parait grave, mais son timbre me donne la sensation de vibrer. Il semble parler seul, ou peut-être qu'il s'adresse à son animal. Je l'ignore.

 

- Elle était là, j'en suis sûre… j'ai entendu sa voix…

 

Par Poséidon ! Mon cœur se met à battre la chamade aussitôt dans ma poitrine. Jamais je n'ai connu tant de bonheur ! De toute évidence, il se souvient de moi, au moins un peu, au moins de ma voix ! Il ne peut s'agir que de cela ! Je l'écoute en silence, oubliant même de respirer tant je trouve doux de savoir qu'il ne m'a pas oubliée.

 

Cela me touche si profondément que je suis sûre à présent que je dois me révéler à lui. Il faut qu'il me voit, que nos regards se croisent et que je lui parle ! Je saisis cet instant de certitude pour quitter mes rochers.

 

 

 

Je me laisse glisser dans l'eau et avance vers la plage. Comment dois-je m'y prendre ? Sortir de l'eau devant lui ne me paraît pas très judicieux… Dois-je essayer de lui parler d'abord ? Ou rester silencieuse ? Peut-être pourrais-je ne pas lui montrer ma nageoire aussitôt. J'hésite quelques instants, toujours sous l'eau, avant de prendre mon courage à deux mains pour remonter à la surface jusqu'au buste dans un premier temps. Les yeux fermés, n'étant pas certaine de pouvoir affronter le premier regard que posera sur moi le beau jeune homme, je laisse émerger mon visage ainsi que mes épaules avant de m'arrêter. Je suis surprise de respirer si fort l'air qui vient par grandes inspirations emplir mon corps, mais je devine que cela n'est qu'un effet de ma nervosité.

 

Je laisse quelques secondes s'écouler dans un silence total avant d'ouvrir les yeux. Déconcertée, je me retrouve face au sable blanc, désert. Incapable de comprendre comment cela est possible, je sors un peu plus mon corps de l'eau et finis par l'apercevoir au loin, remontant le chemin qui mène jusqu'au château… J'hésite un instant à crier, à l'appeler, mais j'abandonne rapidement ces idées, déçue, presque en colère contre moi-même d'avoir laissé passer cette occasion de le rencontrer, peut-être la seule avant des semaines…

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