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Chapitre 24 - Entre deux mondes

Sean

- Mélanie ? Préparez moi un baquet d'eau chaude s'il vous plaît, et faite le porter dans la chambre de notre invitée, demandai-je à ma gouvernante qui est en train de récupérer le linge à faire laver.

 

- Bien Mylord, me répondit-elle avant d'appeler quelqu'un d'autre pour l'aider dans sa tâche.

 

Je repars vers le premier étage. Nous avons dîner il y a un peu plus d'une heure. Le prince est sans aucun doute sur la plage comme presque tous les soirs et Aslinn garde la chambre.

 

J'ai vu tout au cours de la soirée les efforts qu'elle a fait pour avoir l'air en forme et intéressée, particulièrement par la conversation au dîner qui a porté sur la saison de la chasse qui sera bientôt là. Mais je la sais épuisée. Je ne pensais pas même qu'elle serait capable d'en faire autant en une seule journée, si peu de temps après son arrivée au château. J'imagine très bien l'état de ses jambes et pourquoi elle préfère passer le reste de la soirée au lit.

 

Dans le couloir, je me presse vers la chambre qu'occupe Aslinn. Il vaudrait mieux que personne ne m'y voit entrer en pleine soirée. Je toque trois coups légers et attends d'entendre le son de la petite cloche qui a été mise à sa disposition pour entrer. J'ouvre doucement la porte et me glisse à l'intérieur avant de la refermer rapidement derrière moi.

 

- Bonsoir Miss Aslinn, dis-je en posant mes yeux sur elle.

 

Elle est assise dans le lit en chemise de nuit, les jambes sous les draps. Elle me regarde l'air à la fois surprise et joyeuse, puis me sourit en me faisant un petit signe du bout des doigts. Je m'approche du lit et lui tends la main en disant :

 

- Vous devez avoir les jambes douloureuses après une telle journée, venez vous asseoir sur une chaise. J'ai demandé à Mélanie de faire porter un baquet d'eau chaude pour vous.

 

Elle écarquille les yeux avant de hocher la tête, puis de se mettre en mouvement pour sortir du lit. Lorsqu'elle bouge ses jambes pour les ramener sur le côté, je vois ses traits se crisper.

 

- Faite doucement, l'encourageai-je alors qu'elle essaie de se lever.

 

Ses jambes tremblent fortement au moment où elle se soulève, mais je suis surpris de la voir finalement tenir debout. L'air satisfaite, elle tente un pas vers moi, mais la voyant vaciller, je prends son bras pour la conduire sur le fauteuil de brocart vert, non loin du balcon. Elle s'y assoit maladroitement en se massant légèrement les jambes. Au même moment arrive Émilie, le baquet vide dans les mains. Je lui fais signe de venir le poser aux pieds d'Aslinn, ce qu'elle fait avant de repartir chercher l'eau qui arrive quelques minutes plus tard.

 

- Allez-y, trempez vos pieds, cela devrait vous soulager, expliquai-je à Aslinn qui n'a pas l'air convaincue par mon initiative.

 

Elle le fait toutefois et je vois un sentiment de soulagement se peindre sur son visage, ce qui me tire un sourire. Son innocence et sa méconnaissance de notre monde ne cessent de me surprendre. Elle évolue pourtant avec une assurance déconcertante dans cette nouvelle vie. Lorsqu'elle rouvre les yeux quelques instants plus tard, j'ai droit à un nouveau sourire, peut-être un peu plus sincère.

 

- C'est ironique que ce soit l'eau qui vous soulage, n'est-ce pas ? demandai-je amusé.

 

Elle acquiesce et referme les yeux quelques instants. Debout à côté d'elle, j'hésite à la laisser tranquille, mais sa main vient se poser sur mon bras. Je la regarde et elle pose sur moi des yeux interrogateurs avant de commencer à gesticuler. Je ne comprends rien à ce qu'elle essaie de me dire. Elle fait de drôles de signes avec ses doigts sur sa tête, puis désigne le balcon.

 

- Je n'ai aucune idée de ce que vous faites, finis-je par dire au bout de quelques secondes.

 

Elle soupire, puis lève les yeux au ciel avant de faire mine de réfléchir. Ce doit être difficile pour elle de ne plus pouvoir parler. Être muet est une chose, le devenir ne doit pas faciliter la tâche. Alors qu'elle recommence à faire des signes étranges, essayant sûrement de me mimer quelque chose, une idée me vient.

 

- Attendez un moment, lui fis-je en quittant la pièce.

 

J'aperçois son air déconfit juste avant de sortir. Je monte jusque mes appartements, puis je passe dans mon bureau où je récupère une feuille de papier ainsi qu'une plume et un encrier avant de redescendre dans la chambre d'Aslinn. Quand j'entre dans la pièce, elle est toujours assise sur le fauteuil, les pieds dans l'eau, et je lui fais signe de venir jusqu'au bureau devant lequel il y a une petite chaise en bois. Elle vient s'y installer avec quelques grimaces et en laissant de larges traces humides sur le parquet, puis affiche un air perplexe face au papier.

 

- Vous pourriez peut-être essayer d'écrire, proposai-je en prenant la plume pour la glisser sur le papier où elle laisse une fine trace noire.

 

Aslinn lève les yeux sur moi en fronçant le nez et fait mine de repousser la feuille ainsi que la plume. Décontenancé, j'insiste :

 

- Pourquoi ne voulez-vous pas essayer ?

 

Après un moment de réflexion, elle pousse encore un petit soupire avant de se saisir de la plume. Elle en pose alors la pointe sur le papier et commence à tracer des signes qui me sont totalement incompréhensibles. Il y en a cinq en tout sur la feuille lorsqu'elle relève la plume, puis la tête vers moi avec un regard désolé.

 

- Vous ne savez pas écrire dans notre langue, soufflai-je en la regardant hocher doucement la tête.

 

Je fixe de nouveau les signes sur la feuille et trouve ça absolument fascinant. De toute évidence, Aslinn comprend tout ce que nous disons, bien qu'elle ne connaisse pas les choses de notre monde comme les meubles ou nombre d'objets qu'elle semble n'avoir jamais vus. Pourtant, elle ne connaît pas notre alphabet. Plein de questions me viennent à l'esprit alors qu'elle admire la plume, passant ses doigts dessus comme une enfant.

 

- Parlez-vous la même langue que nous ? L'interrogeai-je en attirant son attention de nouveau.

 

Elle hoche la tête pour me répondre avant de me tendre la plume puis de m'indiquer la feuille de papier qui est toujours sur le bureau. Comprenant ce qu'elle veut, je me penche à nouveau pour écrire. Cette fois je trace un a, puis un b, et enfin je me décide à écrire son nom en toutes lettres. Elle m'observe fascinée.

 

- Là, dis-je en indiquant la feuille, c'est votre prénom : Aslinn.

 

Elle sourit en se désignant, puis me désigne avant de montrer la feuille. J'y écris alors mon prénom puis celui du prince Méallan, ce qui lui fait monter le rouge aux joues. Je l'observe, perdue dans sa contemplation. Je dois admettre que même humaine elle reste vraiment jolie. Ses cheveux blonds détachés lui tombent bas dans le dos et encadrent son visage encore empourpré. J'apprécie également la finesse de ses mains qui effleurent doucement le papier.

 

- Comment est-ce, chez vous ? lui demandai-je en me reprenant.

 

Elle sursaute légèrement avant de lever ses grands yeux vers moi. Elle semble hésiter un moment, puis ouvre grand les bras devant moi, ce qui me fait sourire.

 

- C'est grand ? Ça ne me surprend pas. Cela doit vous paraître tout petit ici, mais vous savez, nous aussi nous avons de grandes villes. Elles sont juste plus enfoncées dans les terres, lui expliquai-je en allant chercher son baquet afin de lui remettre les pieds dans l'eau.

 

Elle hoche la tête comme si elle le savait déjà, puis me remercie d'un sourire en plongeant à nouveau ses jambes endolories alors que je retourne m'asseoir dans le fauteuil. Je l'observe réfléchir, différentes expressions traversant son visage au fil de ses pensées. Finalement, elle relève les yeux vers moi et se désigne avant de me montrer distinctement ses cinq doigts.

 

- Cinq ? Cinq vous… vous êtes dans une famille de cinq personnes ? Tentai-je en plissant les yeux.

 

Elle secoue la tête et repointe son index sur elle.

 

- Cinq comme vous… vous avez cinq sœurs ?

 

Elle acquiesce, visiblement satisfaite d'avoir été comprise.

 

- Vous êtes issue d'une grande famille. Mais je serais bien incapable d'imaginer cinq autres sirènes comme vous, ou même tout un peuple de sirènes d'ailleurs, répondis-je en lançant un regard à travers la fenêtre du balcon.

 

Elle hausse doucement les épaules avant de me pointer du doigt.

 

- Je suis fils unique, ma mère et mon père sont morts dans un naufrage.

 

Ses traits se font d'un coup plus sombres et je sais qu'elle est désolée pour moi. Je lui explique que c'est arrivé il y a plusieurs années, que j'ai hérité du château et que depuis je vis ici, où je m'occupe des paysans, des affaires du village et de la gestion du château. Elle semble intéressée et écoute attentivement tout ce que je lui raconte. Après mon récit, je me permets de lui poser d'autres questions sur elle, sur l'océan, et bien qu'il soit compliqué de comprendre tout ce qu'elle souhaite me dire, nous arrivons à communiquer.

 

C'est finalement à une heure assez avancée de la nuit que je quitte sa chambre pour la laisser dormir, la tête emplie de sirènes, d'une grande ville aquatique à des centaines de mètres sous l'eau… et d'un monde que j'ai l'impression de connaître un peu à présent. 

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