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Chapitre 19 - Éveil sur la plage

Aslinn

Au bord d'une plage, le corps à demi sur le sable, à demi dans l'eau, je fixe la lune en tenant la baie que m'a confiée la sorcière au creux de ma main. Il n'y a que du sable et des falaises à l'horizon, je dois me trouver assez loin du village. Je n'en sais rien. Je ne dois plus réfléchir, il est trop tard pour cela.

 

Profitant d'un élan de courage, je croque dans la baie. Elle a le même goût que d'habitude, mais sa chair habituellement verte est devenue rouge vif. J'essaie de ne pas y penser et la mange en quelques bouchées. Au début, je ne sens rien, égale à moi-même, toujours sirène, les écailles de ma nageoire lançant de petits éclairs argentés dans l'air sous les rayons lunaires. Au bout de quelques minutes, ma vision se brouille légèrement. Mes pensées sont de moins en moins cohérentes, des visages dansent devant mes yeux, le sable sous mes paumes me semble plus uni, s'écrasant peu à peu sous mon poids… Et puis, une douleur fulgurante, comme si on m'arrachait la nageoire, si violemment que l'instant d'après tout devient noir.

 

 

Plus tard, je ne sais combien de minutes ou d'heures après cela, ma conscience me revient à peu près. Des songes semblent se mélanger dans ma tête, entre réalité et fantasmes. Lorsque j'ouvre les yeux, il m'est impossible de savoir si il fait jour ou si nous sommes encore en plein milieu de la nuit. J'ai conscience de ma respiration qui fait s'élever puis se rabaisser ma poitrine. Mon cœur semble battre plus sourdement dans mes oreilles. Part moment, j'ai l'impression de sentir ma gorge me brûler, et puis je ferme les yeux et tout disparaît encore.

 

 

La première chose dont je sois vraiment certaine en m'éveillant, c'est que quelqu'un essaie de me parler. J'entends cette voix grave distinctement, si distinctement qu'elle ne peut être le simple fruit de mon imagination. C'est trop réel pour cela.

 

- Vous m'entendez ?

 

Mes paupières sont trop lourdes pour que je puisse les soulever, bien que la lumière filtre à travers elles. J'ai conscience de l'air allant et venant dans mes poumons, comme si j'avais manqué de suffoquer quelques instants plus tôt. Je le sens aussi sur moi, caressant ma peau sur mes bras, mon ventre, dans mon cou…

 

- Mademoiselle, est-ce que vous allez bien ?

 

Un bras passe dans mon dos et on me redresse. Mes cheveux s'éparpillent sur mon buste et derrière mes épaules. Une main touche ensuite mon visage, douce et pleine de chaleur. Mon premier instinct est d'essayer une nouvelle fois d'ouvrir les yeux. La lumière augmente, bien trop forte à mon goût. J'ouvre les lèvres pour protester, mais aucun son ne s'en échappe. Je suis incapable de bouger.

 

- Doucement, vous avez du faire naufrage, me conseilla la même voix grave. Respirez lentement.

 

Je fais ce qu'on me dit, m'accordant quelques instants avant d'ouvrir encore les yeux. Alors son visage m’apparaît. D'abord flou, je vois ses traits devenir de plus en plus précis, jusqu'à reconnaître mon Prince, là devant moi, me scrutant d'un air inquiet.

 

Recouvrer la vision me donne la sensation de tomber, tout tourne autour de moi. Surprise, je sens mes bras s’élever instinctivement pour s'agripper au Prince dont je saisis le vêtement. Je referme les yeux aussitôt, il faut que ça arrête de bouger ainsi.

 

- Tout va bien, je vais vous emmener au château, me rassura le Prince en me soutenant un peu plus.

 

Il me laisse un peu de temps pour m'y retrouver. Je reprends mes esprits petit à petit et réalise tout à fait où je suis. L'océan s'étend devant moi. Je suis assise sur le sable humide, de l'eau jusqu'à la taille lorsque les vagues se retirent, mes cheveux couvrant le reste de mon corps dénudé. Il y a un peu de vent et lorsque j'en sens la brise voleter autour de moi, un long frisson me parcourt. Une sensation étrange s'empare en même temps de moi, qui fait se hérisser des parcelles entières de ma peau.

 

- Vous pensez pouvoir vous lever ? me demanda le Prince.

 

Mes yeux quittent l'eau pour son visage. Il est terriblement beau, encore plus que dans mes souvenirs. Ses yeux sont clairs, ouverts, sa bouche charnue et droite, ses traits lisses ont l'air insouciants. Le vent agite ses cheveux blonds qui par moment recouvrent sont front avant de s'envoler dans les airs.

 

Je réfléchis à ce qu'il vient de dire. C'est seulement à ce moment là que je prends conscience du reste de mon corps qui se trouve sous l'eau. Pendant un bref instant, je suis persuadée que je vais voir en sortir ma nageoire, bleue et brillante, qui l'effraierait sans doute. Mais je sens bien que je suis différente. Doucement, j'essaie de bouger. Aussitôt, une douleur lancinante s'étend en bas, sur tout le côté droit. Je grimace. La sorcière des mers m'avait prévenue.

 

- Vous avez mal aux jambes ? Vous êtes blessée ? s'enquiert le Prince en me dévisageant.

 

Je secoue la tête. Il faut que j'arrive à me lever. Je devrai affronter cette douleur chaque jour à présent. Déterminée, je m'appuie sur le bras du Prince qui hoche la tête et tend ses avant-bras afin de pouvoir m'aider. Je bouge mes jambes à nouveau et chaque mouvement me coûte, comme si on me déchirait le bas du corps encore et encore sans un instant de répit. Je tiens bon et me retrouve plus rapidement que je ne l'aurais cru sur mes deux jambes, le bras du Prince autour de ma taille pour me maintenir. Il me scrute et après quelques secondes immobile, me propose de me lâcher. J'acquiesce et il enlève lentement son bras. Je semble tenir debout, l'espace d'une seconde peut-être, avant que mes jambes ne se mettent à flageoler puis ne cèdent totalement, se dérobant sous le poids de mon corps.

 

Le Prince me rattrape avant que je n'atteigne le sable et je me retrouve contre lui, le cœur battant la chamade malgré la douleur qui me cisaille à nouveau les jambes. Il me sourit avant de dire :

 

- Je crois qu'il vous faut un peu de repos, vous n'arrivez pas à marcher.

 

Je ne peux quitter son visage des yeux. Tout s'emballe dans mon esprit et j'en oublie même pourquoi je suis là. Son regard ne tarde pas à plonger dans le mien et nous nous fixons de longues secondes, avant qu'une voix lointaine n’interrompt notre échange.

 

- Prince Méallan ?

 

Surprise, je tourne la tête vers la plage. Je reconnais aussitôt le jeune homme de la crique, il a exactement le même manteau et il se dirige droit vers nous.  

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