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Chapitre 37 - Les adieux

Aslinn

La journée à été incroyable ! Il ne reste plus que quelques heures avant le bal et j'arrive enfin à échapper à la surveillance générale. J'ai l'impression de me retrouver au mariage d'Eireen tant il y a de monde, sauf que c'est moi la future mariée, alors personne ne me laisse un instant de répit. Méallan et moi avons dû choisir pour un nombre incroyable de choses, alors que dans l'océan, même si cela n'empêche pas de mettre le palais tout entier en ébullition, les choix sont limités par nos coutumes. Les traditions des humains en revanche ne cessent de m'étonner. Parfois je les trouvent choquantes comme tous ces bains qui m'ont été donnés en présence de plusieurs dames, d'autres fois amusantes comme choisir chaque détail de ma robe pour le bal. Et il m'arrive aussi de ne tout simplement pas comprendre lorsqu'il est question de bienséance et de règles de conduite qui n'ont aucun sens à mes yeux…

 

Mais le plus important pour moi, c'est que le grand jour soit sur le point d'arriver ! Finalement, je pense que ce sera lui, le plus grand jour de ma vie… celui où je vais sceller mon destin à celui de mon prince, où il va partager son âme avec moi, où nous allons décider de passer tous les jours qu'il nous sera donné de vivre ensemble.

 

Seule dans ma chambre, je ne peux m'empêcher de déborder de bonheur en pensant à tout cela, mais un voile se pose toutefois sur mes si jolies pensées… ce soir, je dois quitter ma famille pour toujours. Je la perdrai une nouvelle fois et c'est certain que je ne pourrai jamais revoir leurs visages… Méallan me l'a clairement dit, nous ne reviendrons jamais ici.

 

Je sais que je suis censée me préparer. Une magnifique robe a été conçue pour moi, que je dois prendre le temps de mettre, avec des parures et des chaussures qui me feront souffrir même si elles sont pourtant incroyablement raffinées… mais je dois d'abord rejoindre la caverne dans la falaise. Je sais qu'elles m'attendent comme elles me l'avaient promis trois jours plus tôt.

 

Toujours vêtue de ma simple robe du jour, je me glisse dans le couloir et cours jusqu'à la porte d'entrée grande ouverte du château. Il y a tant de monde au rez-de-chaussée que personne ne me remarque avancer tête baissée, cachée dans un voile léger, puis sortir. Je me dépêche de rejoindre la plage, mais de longues minutes me sont nécessaires pour parvenir au lieu de rendez-vous.

 

Lorsque j'arrive enfin, un peu essoufflée, et que je passe par l'interstice qui me permet d'entrer, mes sœurs sont là, mais surtout et c'est ce qui gonfle le plus mon cœur de joie et de mélancolie emmêlées, ma grand-mère. Je sens aussitôt l'eau me monter aux yeux, puis s'échapper lentement le long de mes joues, tandis que j'accours pour être à ses côtés.

 

- Oh, ma petite sirène ! s'exclama-t-elle en me tendant ses mains mouillées que je saisie le cœur chargé d'émotion. Comme tu es jolie… même si ces deux petites choses que tu as à la place de ta nageoire me font une drôle d'impression…

 

Je souris à travers mes larmes et me laisse tomber à genoux devant ma famille que je chéris tant. Mais alors que je relève les yeux sur elles, je réalise qu'il manque Rosheen. Ma joie s’éteint aussitôt et avec quelques gestes maladroits, les yeux plus humides encore, je demande après elle, même si je suis déjà certaine de connaître la réponse.

 

- Aslinn, Rosheen a quitté le palais hier matin avec la garde royale au complet, pour la cité d'Ekbanek, comme cela a été prévu par ton père… me confirma tristement Géileis.

 

J'ai du mal à respirer et une douleur aiguë me serre la poitrine. Daithe, Géileis et Mazoe viennent à ma rencontre pour me consoler.

 

- Elle nous a dit de te dire à quel point tu allais lui manquer, qu'il n'y aurait pas une journée sans qu'elle pense à toi et qu'elle ferait tout ce qu'elle pourrait pour trouver le moyen de te revoir un jour… m'expliqua Daithe en venant poser ses doigts sur les miens.

 

Je hoche la tête en continuant de pleurer en silence. Elle va tant me manquer… De longues minutes s'écoulent ainsi dans un silence recueilli, avant que ma grand-mère n'intervienne pour me ramener un peu à la raison.

 

- Ma petite sirène, je sais que tu es triste et que ta sœur va beaucoup te manquer, mais tu sais qu'elle se porte bien, malgré la distance qu'il y a à présent entre vous… Et tu dois te ressaisir ! Tu vas te marier ! N'as-tu pas plus de raisons de te réjouir que de montrer ta peine ?

 

J'essuie mes joues en l'écoutant et essaie de faire preuve de courage en repoussant mon chagrin dans un coin de mon esprit. Mes sœurs en profitent pour me féliciter une nouvelle fois et me complimentent sur mon teint et mes yeux dans lesquels on peut lire mon bonheur, ce qui leur procure une grande joie. Après cela, c'est surtout ma grand-mère qui prend la parole pour m'expliquer que même humaine, je devrai toujours veiller à mon devoir, à me conduire avec honneur, à servir dignement ce nouveau monde auquel je me donne en épousant le prince. Je ne peux qu'acquiescer à ses mots et je suis heureuse de constater qu'elle est toujours égale à elle-même.

 

- Tu nous manqueras énormément Aslinn, mais nous penserons chaque jour à toi en espérant que tu connaîtras une vie de bonheur, me souhaita Mazoe en venant prendre ma main une dernière fois avant de laisser sa place à Géileis qui sourit d'un bout à l'autre de son visage.

 

Elle s'approche de moi, mais moins à l'aise que mes autres sœurs, ne se donne pas le droit de me toucher. Je lui rends son sourire avec toute la tendresse que je ressens pour elle, ma chère sœur.

 

- Aslinn, j'espère aussi que tu seras heureuse et que tu auras le plus beau mariage qu'on ait jamais vu chez les humains, me dit-elle en prenant un air malicieux.

 

Je ris devant cette sorte de grimace et fière de ma réaction, elle poursuit le plus naturellement du monde.

 

- D'ailleurs de quelle couleur sera ta parure de mariage ?

 

Je ris d'autant plus. Il n'y a que Géileis pour se préoccuper de choses pareilles à un moment tel que celui-ci, mais j'aime le fait qu'elle sache toujours revenir à la légèreté quoi qu'il arrive. Je lui désigne alors ma robe avant d'écarter les bras pour lui signifier qu'elle sera bien plus grande, puis ne trouvant rien d'autre, je montre les cheveux de notre grand-mère pour la couleur, ce qui nous fait toutes rire, sauf la concernée qui bien qu'amusée ne manque pas de me réprimander un peu. J'ai droit à toute une série d'autres questions sur le mariage, les réceptions humaines, Méallan aussi un peu… auxquelles je me fais un plaisir de répondre, même s’il n'est pas toujours évident de m'expliquer, surtout lorsque ma grand-mère ne cesse de répéter que je m'agite beaucoup trop et que je ne dois pas oublier mon rang.

 

- Géileis, je pense que c'est assez, finit par nous interrompe notre grand-mère.

 

Je l'observe hocher la tête avant de reporter ses yeux bleus sur moi, un air plus mélancolique sur le visage qui me touche profondément.

 

- N'oublies jamais de rire petite sœur, même si personne ne peut l'entendre, reprit-elle très sérieusement.

 

J'acquiesce solennellement et elle finit par toucher brièvement ma main avant de s'éloigner dans l'eau. C'est alors Daithe qui nage jusqu'à moi, le visage souriant et doux. Elle ouvre la bouche pour parler, mais finalement la referme pour me tendre ses bras. Je souris avant de me baisser pour la prendre dans les miens. Je n'ai jamais été aussi proche de toute ma famille, et pourtant il a fallu attendre que je m'en aille pour cela.

 

- Tu sais que quoi qu'il t'arrive, tu pourras toujours revenir à l'océan. Nous serons là, Rosheen et moi, me murmura-t-elle à l'oreille afin que personne d'autre que moi n'entende ces mots.

 

Je n'ai pas le temps de réagir qu'elle me lâche, puis repart dans le bassin d'eau salée aux côtés de mes deux autres sœurs.

 

- Il est temps que vous rentriez à Atlantis, à présent, leur ordonna gentiment ma grand-mère en se tournant vers elles.

 

Toutes acquiescent et après un dernier signe de la main échangé, elles plongent toutes les trois. Je fais un gros effort pour ne pas laisser l'eau couler sur mon visage alors que je fais à nouveau face à ma grand-mère. Elle a l'air émue comme le jour de la dernière cérémonie de mon anniversaire et elle vient encore me prendre les mains.

 

- Ma petite sirène, te voilà face à tes choix. Je ne pensais pas que ta vie serait bouleversée si tôt, mais comme nous te l'avons toutes souhaité, nous n'espérons que ton bonheur dans ce monde que tu as préféré au notre.

 

Je pince les lèvres pour protester, mais elle ne me laisse pas m'expliquer et poursuit d'une voix toujours aussi calme.

 

- Bien que ton père et ta sœur aînée t'aiment beaucoup eux aussi, ils n'ont pu accepter ton choix. Je sais que cela a dû t'affecter, mais ne crois pas pour autant que leur affliction est un manquement de leur cœur. Si ils avaient moins de fierté l'un comme l'autre, ils seraient venus te voir… le temps aura manqué pour cela.

 

Je hoche tristement la tête. Les mots qu'Eireen a eu pour moi sont encore gravés dans ma mémoire, et bien que cela m’ait beaucoup peinée… je m'efforce de la comprendre et je n'oublie pas la sœur distante mais toujours attentive qu'elle a été pour moi, au courant de ma vie et principalement de mon enfance, dans l'océan. Quant à mon père… nous ne nous serons jamais vraiment entendus, mais je lui pardonne ses colères et j'espère qu'il saura me garder dans son cœur de roi, quelque part.

 

- Pour ma part, je suis fière de toi ma petite Aslinn. Tu as su courageusement assumer tes choix et bien que ta témérité t'ait souvent causé des torts, je suis satisfaite que ton destin puisse t'amener au bonheur que tu vas connaître en te mariant. Et c'est pour cela que je tiens à te donner ceci…

 

J'écarquille les yeux en l'observant nager jusqu'à une roche que je ne peux voir depuis l'endroit où je me trouve et en retirer un écrin d'algues bleues que je reconnais aussitôt. Ma gorge se serre en même temps que je réalise pleinement de quoi il s'agit. Je porte instinctivement la main à mon cou alors qu'elle revient vers moi.

 

- Tu l'as abandonné sur ton lit en partant, mais tu es toujours dans ta quinzième année et je souhaiterais que tu le portes, car tu appartiens toujours à notre famille.

 

Je hoche la tête vivement avant de la baisser pour laisser ma grand-mère me passer le collier de perles. Je souris en le sentant sur ma peau. Les perles sont douces bien qu'humides, et je ne peux m'empêcher de poser les doigts sur elles lorsqu'elles sont enfin attachées autour de mon cou.

 

- Portes le fièrement pour ton mariage et lorsqu'il te faudra du courage… me dit-elle d'une voix altérée.

 

J'acquiesce avant de me redresser. Comment pourrais-je le lui rendre lorsque j'atteindrai mes seize ans ? Je fais plusieurs gestes afin de lui faire comprendre mon idée, ce qui est difficile, mais je finis par réussir.

 

- Cela n'a pas d'importance. Si tu ne reviens pas, alors tu le garderas et tu l'offriras à tes propres enfants, me répondit-elle avec un sourire bienveillant.

Je la remercie en lui prenant les mains et je sais qu'il est maintenant temps de nous dire au revoir. Je soupire, la laisse replacer quelques mèches de cheveux autour de mon visage, puis elle s'éloigne lentement de moi en même temps que je me relève. Je tends une dernière fois ma main vers elle et entends sa voix si solennelle résonner dans la petite cavité avant qu'elle ne plonge :

 

- Que Poséidon veille sur tes jours…

 

 

J'avance sur la plage les jambes tremblantes. Le château me semble éloigné, mais je sais que quelques minutes seulement me seront nécessaires pour revenir à lui. J'ai le cœur lourd. Je ne savais pas avant de connaître ce monde qu'il était possible de connaître tant de bonheur et de peine au même moment. Je voudrais tourner toutes mes pensées vers Méallan, mais mes sœurs sont encore bien trop présentes à mon esprit pour que cela réussisse à me ramener à la joie dans laquelle je vivais jusqu'à ces au revoir qui m'arrachent à une partie de moi-même.

 

Après quelques mètres de plus, je m'effondre dans le sable sec qui recouvre la plage. Mes yeux répandent de l'eau sur mon visage sans que je n'y puisse rien et je me sens incapable de rentrer au château où je dois pourtant être attendue. Il ne fait pas encore tout à fait nuit, mais le soleil a déjà disparu à l'horizon, ne laissant que quelques tâches orangées dans le ciel pour preuve de son passage. Je ne sais combien de temps je reste ainsi prostrée, mais c'est une main posée sur mon épaule qui me ramène à la réalité.

 

- Aslinn…

 

La seule prononciation de mon prénom m'est douloureuse. Elle me rappelle l'océan. Ici, personne ne m'appelle ainsi, sauf Sean.

Je lève les yeux vers lui et croise son regard inquiet, plein de sollicitude.

 

- Allez vous bien ? me demanda-t-il malgré mon air sûrement pitoyable.

 

Je secoue la tête, alors il s'agenouille près de moi et me prend dans ses bras. C'est la première fois qu'il a un geste si spontané vers moi et bien que cela me surprenne, j'ai terriblement besoin de quelqu'un pour affronter mes tourments. Je le laisse faire et continue à pleurer contre sa poitrine. D'autres minutes s'écoulent, mais petit à petit je sens qu'elles me soulagent. Le chagrin ne peut s'en aller, mais il devient supportable. J'essaie de me raisonner, ma famille va bien, ils vivront eux aussi une vie heureuse, bien plus longue que la mienne dans le monde qui est le leur.

 

- Vous êtes très courageuse, je suis sûr que vous allez y arriver, me réconforta Sean en frottant mon bras de sa large main.

 

Je ne sais pas de quoi il parle exactement, mais ses mots sont ce que j'ai besoin d'entendre. Je relève mon visage vers le sien. Il a toujours l'air soucieux mais il tente de me sourire, ce qui me fait chaud au cœur.

 

- Tout le monde vous attend au château Aslinn. Le prince Méallan ne sait pas que vous êtes partie. J'ai réussi à faire en sorte qu'Émilie garde le secret, mais à présent il faut que vous veniez… votre robe de bal est prête à vous faire resplendir ce soir.

 

Je lui souris et essuie rapidement mon visage. Il se remet sur ses jambes avant de me tendre les mains pour que je me remette également sur les miennes. Je tiens sans trop de difficultés, je n'ai pas fait tant d'efforts que cela aujourd'hui, ce qui nous permet de reprendre le chemin du château.

 

- C'est très joli votre collier de perle, me complimenta-t-il alors que je passe tout de même ma main sous son bras à cause du sable dans lequel mes pieds s'enfoncent.

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