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Chapitre 21 - Les jardins

Aslinn

Une fois au château, le Prince Méallan monte de grands escaliers avant de me déposer dans une pièce toute aussi grande qui doit être une chambre, sur ce qui ressemble à un lit, même si je trouve cela plus dur que ce que j'ai toujours connu à Atlantis. Il me sourit et bien que je me sente un peu perdue dans tout cet espace, je le lui rends.

 

- Tout va bien ? me demanda-t-il en me regardant droit dans les yeux.

 

Je hoche la tête vivement. Je n'en reviens pas d'être là ! Dans ce château que j'avais seulement pu contempler de loin, face à l'homme que j'aime et dont je vais devoir gagner l'amour.

 

- Parfait, on va s'occuper de vous à présent. Je reviendrai vous voir dans l'après-midi quand le docteur vous aura vu, m'expliqua-t-il avant de prendre délicatement ma main pour y déposer un baiser du bout des lèvres.

 

À son contact, mon cœur accélère dans ma poitrine et je sens comme une vague d'émotion me monter au visage. Sur ce geste, il quitte la pièce où je me retrouve seule. Je reste un moment ébahie, puis réalise que je n'ai pas la moindre idée de ce que signifie ce qui vient de se passer. Dans l'océan, nous n'avons de contact qu'avec les gens dont nous sommes très proches, ou plus simplement notre famille. Même mes sœurs ne se permettent pas toute de me toucher. Je devine sans peine que les choses doivent être différentes sur terre, sans quoi le Prince ne se serait jamais permis une telle chose.

 

Mes questionnements sont rapidement interrompus par l'arrivée d'une servante dans la chambre. Elle porte un vêtement sombre ainsi qu'un autre tissu par dessus, entièrement blanc. Elle m'explique qu'elle s'appelle Émilie et qu'elle est là pour m'aider à prendre mon bain. J'acquiesce puis la laisse agir. Je l'observe s'affairer, sortir de grands bouts de tissus de meubles tout en bois qui brillent, puis passer dans une autre pièce attenante.

 

Finalement, après quelques minutes, elle vient vers moi et m'aide à aller jusqu'à la petite pièce où un grand bassin en bois rempli d'eau fumante m'attend. Émilie m'ôte le manteau que j'ai toujours sur les épaules, puis je m'assois dans l'eau, laborieusement, mes jambes ne cessant de me faire souffrir à chaque mouvement.

 

Une fois dans l'eau je me sens bien. C'est de l'eau douce et son contact me procure des sensations nouvelles que je ne connaissais pas lorsque j'étais sirène.

 

- C'est assez chaud ? me demanda Émilie, un seau dans les mains.

 

Je la dévisage un instant, légèrement perplexe. Elle me détaille en retour, mais semble de plus en plus gênée. Finalement, elle se remet à parler :

 

- Voulez-vous plus d'eau ?

 

Je hoche la tête et un sourire apparaît sur son visage tandis qu'elle déverse le contenu de son seau autour de moi. Je suis surprise de la sensation qui m'englobe soudainement et je devine que ce doit être cela : chaud. Je me souviens alors des paroles de la sorcière… ma peau est différente à présent.

 

- Tenez, fit-elle ensuite en me tendant un épais carré blanc, je vous laisse vous savonner.

 

Je prends le carré blanc avant de la regarder sortir de la pièce. Il sent très bon, même si je n'ai pas la moindre idée de quoi il peut s'agir. Je le plonge alors dans l'eau et sa texture d'abord solide devient presque visqueuse, répandant son odeur tout autour de moi. Les longues minutes durant lesquelles je reste seule dans la petite pièce sont un vrai délice. Je me sens bien, mes jambes immobiles ne me gênent presque plus.

 

Émilie finit par revenir et m'explique gentiment qu'elle va me laver puis me démêler les cheveux. Je la laisse prendre soin de moi, passer divers liquides dans mes cheveux avant de les peigner avec une grosse brosse aux poils rêches, visiblement très efficace. Lorsque tout cela est terminé, elle me fait sortir du bac et retourner dans la chambre, où une autre servante attend, un long vêtement blanc dans les mains. Elle me fait signe de lever les bras, je m'exécute et me retrouve habillée du cou aux chevilles par ce vêtement bien étrange mais très doux sur ma peau.

 

- Allongez-vous mademoiselle, m'intima Émilie en me désignant le lit, vous avez sans doute besoin de vous reposer et quelqu'un va vous amener à manger.

 

J'acquiesce tout en grimpant sur le lit avant de glisser mon corps sous les deux couches de tissu qui doivent servir de couverture et qui semblent fixées au lit.

 

 

Quelques heures plus tard, alors que le soleil bat son plein au milieu du ciel, on tape sur la paroi en bois qui me sert de porte – le bois semble être vraiment présent partout chez les humains. Je sors de la torpeur dans laquelle j'étais à demi plongée pour voir entrer un homme, assez grand, de la barbe grise sur le visage et le teint bien plus foncé que ceux des gens que j'ai croisés jusque là. Il est accompagné d'une servante ainsi que de Sean qui entre à sa suite.

 

- Voici la jeune fille dont je vous ai parlé, docteur, expliqua-t-il en me désignant.

 

Je me redresse dans le lit, ce qui réveille légèrement la douleur dans mes jambes, mais cela reste relativement supportable.

 

- Bonjour mademoiselle, me salua le docteur en s'approchant du lit sur lequel il dépose une large sacoche brune.

 

J'ouvre la bouche pour le saluer, avant de la refermer, puis de me contenter d'agiter la main à son égard.

 

- Vous ne parlez pas ? m'interrogea-t-il visiblement surpris.

 

Je secoue la tête pour confirmer. Il sort plusieurs choses dont j'ignore l'utilité de sa sacoche avant de s'asseoir directement sur le lit pour me parler.

 

- Vous souvenez vous du naufrage ?

 

Je secoue vivement la tête.

 

- Parliez-vous avant ?

 

Cette fois je hoche la tête. Il en va de même pour toute une série de questions. Il me demande mon prénom, ce que je suis incapable de lui exprimer, puis d'où je viens, quels sont mes derniers souvenirs… autant de choses que je ne suis pas en mesure de raconter.

 

- Bien, je pense que l'eau salée a abîmé ses cordes vocales. Quant à la mémoire, c'est assurément le choc qui a provoqué cela. Je ne sais pas si elle récupérera pour l'un comme pour l'autre… le temps nous le dira, expliqua-t-il calmement en nous regardant Sean puis moi. À présent je vais vous ausculter.

 

Sean, qui est resté à l'entrée de la chambre, acquiesce avant de partir pour nous laisser seuls, le docteur et moi. Pendant de longues minutes, je suis examinée sous tous les angles possibles, ce qui me paraît tout à fait saugrenu, mais que j'imagine être une tradition humaine. Le docteur écoute mon cœur, observe mes jambes, mes bras, mon dos et mon ventre, puis me demande de faire certains gestes avant de ranger toutes ses affaires et de demander à la servante restée là depuis le début d'aller chercher Sean.

 

- Bon, j'ai plutôt de bonnes nouvelles, cette jeune dame est en parfaite santé. Elle semble avoir un léger traumatisme au niveau des jambes, mais je pense que de l'exercice lui fera recouvrer ses forces. Il ne faut pas l'inciter à rester trop au lit.

 

Sur ces paroles le docteur s'en va, après m'avoir gentiment serré la main, puis celle de Sean. Enfin, il se fait raccompagner par la servante qui le prie de la suivre. Je soupire après qu'il soit parti, heureuse de ne plus avoir à me faire examiner et de ne pas devoir garder le lit. Sean qui est toujours là s'avance vers moi, le visage plutôt fermé.

 

- Je suis heureux que vous alliez bien, me dit-il, planté devant moi.

 

Ne sachant comment le remercier, je lui souris. Pendant quelques instants, il n'ajoute pas le moindre mot, semblant plongé dans ses songes. Je n'ose pas le déranger et reste assise en silence, hésitant à me recoucher. Je me sens encore fatiguée.

 

- Il faut que vous sachiez que je suis au courant de votre situation, Miss Aslinn, et que je ferai mon possible pour vous aider, finit-il par dire d'une voix incroyablement sérieuse.

 

Je le dévisage un peu déconcertée. Que sait-il ou pense-t-il savoir exactement ? Je me redresse pour lui faire face, et lui lance un regard plein d'interrogations.

 

- Je sais que vous venez de l'océan… répond-t-il simplement.

 

Je retiens un soupire, et me laisse retomber sur le lit. De toute évidence, il n'a pas oublié notre première rencontre sur la plage… je trouve en tout cas très gentil de sa part de vouloir m'aider, même si je doute qu'il puisse avoir une quelconque influence pour moi auprès du prince.

 

- Vous n'avez rien à craindre de moi, ajouta-t-il après quelques secondes de silence.

 

Je souris afin de lui faire savoir que j'ai bien compris tout cela, et alors que mes yeux commencent doucement à se fermer, je l'entends me dire avant de quitter la chambre :

 

- Je vous laisse vous reposer jusqu'à ce soir. Le prince vous rendra sûrement visite. Nous nous reverrons au dîner.

 

 

Ce sont trois petits coups sur la porte de ma chambre qui me réveillent, je ne sais trop combien de temps après la visite du docteur. Je me redresse doucement dans le lit et observe la porte s'ouvrir lentement. Le visage du prince apparaît derrière elle et sans que je ne puisse l'en empêcher, un grand sourire me monte aux lèvres.

 

- Bonjour, puis-je entrer ? me demanda-t-il tout en passant le seuil de ma chambre.

 

Je hoche la tête vivement et il referme derrière lui avant de venir s'asseoir prêt de moi, comme l'avait fait le docteur.

 

- Allez-vous mieux ?

 

Je hoche la tête une nouvelle fois, ce qui illumine son visage d'un sourire qui me fait monter encore une vague d'émotion au visage, comme si j'avais chaud tout à coup, comme dans le bain.

 

- Sean m'a dit que le médecin est venu vous voir et vous a trouvée en excellente santé. J'en suis ravi. C'est surprenant que vous n'ayez rien après une telle épreuve. Vous avez dû avoir beaucoup de chance, m'expliqua-t-il en m'observant d'une façon qui me déstabilise totalement.

 

Que ne donnerais-je pas en cet instant pour pouvoir lui parler, ne serait-ce que pour faire la conversation. J'acquiesce sans savoir comment lui répondre, comment communiquer avec lui sans cette voix qui n'existe plus dans ma gorge. Il me contemple un moment et j'en fais de même. Je sais que j'aimerai toujours les traits de son visage, doux et forts en même temps. Après quelques minutes, il semble seulement réaliser le silence qui règne dans la chambre et se remet à parler.

 

- Il me semble que je ne me suis même pas présenté à vous. Mon prénom est Méallan, je suis Prince de la couronne d'Irlande, m'expliqua-t-il en me regardant dans les yeux.

 

Je hausse les épaules. Je suppose que son Irlande doit être une citée comme celle de mon père ou celles des autres royaumes de l'océan. Qu'il soit prince n'a pas tant d'importance à mes yeux, mais je suis tout de même surprise qu'il n'y ait pas plus de monde autour de lui. À Atlantis, mes sœurs et moi même sommes très rarement laissées seules. Il y a les professeurs, les serviteurs, des nobles sirènes de bonnes familles invitées au palais pour venir nous tenir compagnie… Je n'ai pas la moindre idée de la société qui vit dans ce château, mais à bien y penser, cela non plus n'a pas tellement d'importance.

 

- Nous sommes ici dans le château de Lord Sean O'Nell. Il est comte et les terres alentour lui appartiennent. Ma mère m'a fait venir ici afin que je trouve calme et sagesse dans mes derniers enseignements avant mon couronnement, poursuivit-il en me désignant tout le château d'un grand geste de la main. Vous verrez que c'est un endroit parfait pour se reposer. Tout est très calme, il y a l'océan d'un côté et la forêt derrière le village.

 

Je souris tout en l'écoutant. Je voudrais qu'il me parle du village, qu'il me le décrive ou même qu'il m'y emmène, si cela est chose possible. J'ai tant de fois rêvé de marcher dans les rues, au milieu des maisons et des gens qui s'y trouvent, depuis que je l'ai vu pour la première fois ! Mais comment le lui dire ? Je réfléchis une seconde avant de commencer à faire quelques gestes. Avec mes doigts, j'essaie de réaliser la forme d'une maison, puis je fais courir mes doigts dans l'air avant de me désigner. Le prince Méallan me regarde l'air plutôt perplexe.

 

- Je ne suis pas sûr de comprendre ce que vous essayez de me dire… vous voulez marcher ?

 

Je hoche la tête vivement à sa suggestion, mais avant que je n'ai le temps de m'expliquer mieux, le prince se lève du lit et déclare.

 

- Alors allons nous promener dans les jardins du château ! Il fait un temps superbe aujourd'hui. Vous pourrez admirer et sentir le parfum des fleurs.

 

Bien que je sois un petit peu déçue pour le village, je suis heureuse à l'idée de sortir de ma chambre et j'ai très envie de voir les jardins également, me demandant à quoi peuvent bien ressembler les fleurs du monde de l'air. Sans perdre un instant, je lève la couverture et sors du lit. Une vive douleur au travers de ma jambe droite que je pose en premier sur le sol me fait légèrement grimacer et me rappelle que je dois faire attention et procéder doucement si je veux pouvoir tenir debout le temps d'une promenade.

 

Le prince, qui a aperçu l'expression de mon visage, me tend gentiment son bras sur lequel je m'appuie pour me lever. Je suis heureuse de sentir que je peux tenir, contrairement à ce matin où mes jambes semblaient aussi solides qu'une anémone.

 

- Ça va aller ? me demanda-t-il plein de sollicitude au moment où j'ôte ma main de son avant-bras.

 

J’acquiesce, fais quelques pas qui ne me paraissent pas trop incertains même si mes jambes tremblent encore un peu par moment, avant de me diriger vers la porte alors que le prince reste immobile auprès de mon lit.

 

- Attendez ! fit-il au moment où mes doigts se posent sur la poignée. Vous êtes en chemise de nuit. Vous ne pouvez pas sortir ainsi. Je n'y ai pas pensé, vous ne pouvez pas appeler les domestiques, m'expliqua-t-il avant de passer devant moi pour aller dans le couloir où il demande après Mélanie, celle qui s'occupe de diriger tous les serviteurs si je me souviens bien.

 

- Votre majesté, dit-elle en arrivant devant le prince, avant de s'incliner légèrement devant lui.

 

- Il faut que vous demandiez à quelqu'un de venir habiller… mademoiselle, nous allons nous promener dans les jardins.

 

Mélanie me lance un regard perplexe et ne sachant comment réagir, je secoue la tête de haut en bas avec un sourire. La gouvernante appelle alors Émilie avant de prier le prince de sortir et de m'attendre au rez-de-chaussée. Une fois seule avec les deux femmes, je laisse éclater pleinement ma joie et ris en silence en me tenant les mains pendant qu'Émilie sort une robe d'une grande armoire et que Mélanie s'approche de moi.

 

- Miss, vous êtes ici en tant qu'invitée de Lord O'Nell. Vous serez donc traitée à cet égard comme si vous étiez une parente, vous comprenez, me demanda-t-elle en me regardant avec indulgence.

 

Je confirme d'un mouvement de tête alors qu'Émilie arrive et me fait signe de lever les bras. J'obtempère et elle fait passer par dessus ma tête le long vêtement blanc qui est apparemment destiné au sommeil, même si je trouve très étrange d'avoir besoin de vêtements pour dormir. Après cela, elle me fait revêtir un autre vêtement, d'un bleu assez foncé, qui descend lui aussi jusque mes pieds, mais se serre à la taille. Les manches en sont courtes, ce qui laisse mes bras nus au moins, contrairement à la chemise de nuit.

 

- Comme vous ne pouvez pas parler, reprit Mélanie en tirant sur un cordage qui se trouve dans mon dos, je vais vous donner une petite cloche que vous n'aurez qu'à faire sonner lorsque vous aurez besoin de quelqu'un. Cela vous convient-il ?

 

Cela me convient de faire sonner, même si j'ignore ce qu'est à proprement parler une cloche, et lorsque les deux servantes ont terminé de m'habiller, je file me regarder dans le grand miroir qui trône en face de mon lit. Le vêtement est très simple, uni, mais je le trouve joli.

 

- Voulez-vous que je vous coiffe Miss ? me proposa Émilie en venant à mon côté.

 

Pleine de gratitude, j'accepte avec entrain et me tourne pour lui laisser accès à mes longs cheveux qui tombent jusque bas dans mon dos. La jeune servante me fait asseoir sur une chaise et passe un moment à me démêler les cheveux avant de les coiffer d'une façon fort étrange, mais qui me plaît finalement beaucoup.

 

Une fois prête, je remercie Émilie comme je le peux, par quelques gestes qui je le sais ne doivent pas avoir beaucoup de sens, mais j'ose espérer que mon regard comme le reste de mon visage puissent parler pour moi.

 

- Vous êtes très belle ainsi, me complimenta-t-elle en me rendant mon sourire. À présent, je vais vous amener en bas où sa Majesté doit vous attendre.

 

Je la suis. Elle m'aide à ne pas tomber dans les escaliers, puis une fois en bas, m'escorte jusqu’à une autre pièce où sont disposés beaucoup de meubles, tous différents de ceux de ma chambre, et dont je me demande bien quels peuvent en être les usages. Au milieu de cette pièce, sur une sorte de siège rebondi et est recouvert de tissu vert pâle, se trouve le prince Méallan. Un objet que je ne connais pas non plus, de forme rectangulaire, est ouvert dans ses mains. Il nous entend arriver, ferme l'objet qu'il tient et le pose sur une table en bois face à lui avant de venir à notre rencontre. Il sourit en levant les yeux sur ma coiffure, puis remercie Émilie qui s'en va par une autre porte de la pièce.

 

- Prête pour aller découvrir un peu de nature ? me demanda le prince en me désignant la porte principale qui est plus large.

 

J'acquiesce et passe devant lui. Il m'emmène jusqu'aux jardins en nous faisant longer le château que je prends le temps d'admirer. Il est d'autant plus impressionnant que je me trouve à sa base. Lorsque nous arrivons dans l'allée centrale, je suis époustouflée par toute cette verdure. Il y a quantité d'arbres et des plantes absolument partout. Nous passons d'abord sous un petit arc en bois tressé sur lequel beaucoup de fleurs sont perchées, enlacées sur lui. Je souris en levant la tête et manque de tomber lorsque mon pied rencontre une petite pierre au milieu du passage.

 

- Faites attention ! s'exclama le prince en même temps qu'il rattrape mon bras.

 

Mon cœur fait un bond dans ma poitrine lorsque je réalise que j'ai failli me retrouver par terre. Je fixe le prince, interdite l'espace d'un instant, avant que ses traits ne se radoucissent et qu'il n'ajoute :

 

- Vos jambes ne sont de toute évidence pas encore totalement fiables, il serait plus prudent que vous teniez mon bras pendant notre promenade.

 

Je souris et passe le bras sous le sien avant de poser ma main sur son avant bras. Après ce petit incident, nous continuons à marcher et je découvre avec émerveillement les beautés du jardin. Il y a un nombre incroyable de fleurs, toutes différentes en formes et en couleurs. Ce qui me comble le plus, ce sont leurs parfums et je suis grisée de découvrir tout ce que cela fait de pouvoir sentir, inspirer l'air à pleins poumons.

 

- Voudriez vous que je vous cueille quelques fleurs ? me proposa le prince après que nous ayons marché un peu.

 

J'accepte aussitôt et le regarde s'éloigner vers quelques épais buissons. Je reste pour ma part immobile au milieu de l'allée. Mes jambes commencent déjà à me faire souffrir. Au départ, la douleur me paraissait aisément surmontable, mais plus nous marchons, plus les pas me coûtent. Pourtant, je n'ai aucune envie de retourner au château pour rester enfermée dans ma chambre. J'aime la compagnie du prince que je trouve des plus charmants. J'aime le grain de sa voix et la douce sollicitude bienveillante qu'il ne cesse d'avoir à mon égard. De plus, c'est en passant du temps avec lui que je pourrai m'en faire aimer, même si je ne sais comment faire en sorte qu'il apprenne à me connaître.

 

Après quelques minutes, il revient à mon côté et me tend un joli bouquet composé de fleurs toutes différentes. Il me les explique, me donne leurs noms et me les fait sentir. Ma préférée s'appelle rhododendron. Bien que je trouve ce nom tout à fait étrange et qu'elle n'ait pas d'odeur, j'aime sa couleur rose et la forme de ses pétales. Comme nous le faisons souvent chez nous dans l'océan, j'accroche la fleur dans mes cheveux, à l'arrière de ma tête, au milieu d'une des tresses qui composent ma coiffure.

Nous nous remettons à marcher et après quelques pas, le prince Méallan m'interroge.

 

- J'aimerais connaître votre prénom, vous en souvenez-vous ?

 

Je hoche la tête, même si je n'ai pas la moindre idée de la façon dont je pourrais le lui dire.

 

- Je vais essayer de le deviner, me dit-il avec un sourire qui m’ensorcelle totalement. Commence-t-il par un « A » ? demanda-t-il d'abord.

 

Je lui souris en inclinant la tête.

 

- J'ai de la chance. Je comptais faire tout l'alphabet, me dit-il avant de rire, et je ris avec lui, même si je n'ai pas la moindre idée de ce qu'est un alphabet.

 

- Un prénom qui commence par un A… serait-ce Agathe ? proposa-t-il avant de se tourner vers moi.

 

Je fronce le nez en signe de négation, ce qui le fait rire à nouveau. Il tente après ça une quinzaine de prénoms sans succès, et je devine aisément que mon prénom ne doit rien avoir de commun chez eux, alors qu'il est très classique chez moi. Il essaie alors de procéder de nouveau avec les sons provenant de ce qu'il appelle « l'alphabet », mais nombreux d'entre eux ne me disent rien, ce qui rend la chose difficile.

 

- Je crois que ce n'est pas mon jour de chance finalement aujourd'hui, je trouverai peut-être demain, finit-il par dire après d'autres propositions infructueuses de prénoms.

 

Je soupire. Je suis un peu déçue qu'il n'ait pas trouvé, même si je ne peux que comprendre.

 

- Nous pourrions peut-être vous donner un autre prénom en attendant que je trouve le votre, cela vous conviendrait ? me demanda-t-il alors que nous revenons vers le château.

 

J'accepte sa proposition avec un sourire. Je préfère un prénom qui ne soit pas le mien plutôt que ce « miss » que tout le monde me donne par défaut. Après plusieurs hésitations, le prince finit par décider que c'est Nérina qui me conviendra le mieux. Je n'aime pas particulièrement, mais cela ne me dérange pas.

 

Nous sommes à quelques pas de l'arc en bois où j'ai failli tomber lorsque le prince s'arrête. Il se tourne alors vers moi et me demande, avec un air que je ne saurais déchiffrer sur le visage :

 

- Voudriez-vous venir visiter le village et ses environs avec moi demain ? Nous irons en calèche ou à cheval pour que vos jambes ne vous fassent pas souffrir.

 

Je suis ravie de cette proposition à laquelle j'agrée immédiatement. Et dire que je n'ai pas su me faire comprendre tout à l'heure pour que finalement, il me le propose spontanément maintenant. Mon enthousiasme semble le réjouir et j'oublie le reste. 

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